Bientôt la fin de la double imposition des dividendes de source française pour les investisseurs privés belges ?

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Un dividende de source française de EUR 100 perçu par un particulier résidant en Belgique subit actuellement une retenue à la source en France (limitée par la CPDI conclue entre la Belgique et la France) de 15% ainsi qu’une retenue à la source en Belgique de 30%. Après application des retenues à la source susvisées, le dividende net ne s’élève plus qu’à EUR 59,50.
Il en résulte un cumul de retenues à la source entraînant une double imposition des dividendes perçus.

Un petit rappel historique s’impose en cette matière

Cette double imposition des dividendes de source française n’a pas toujours existé. 

En effet, avant la loi du 7 décembre 1988, la législation belge permettait d’éviter la double imposition susvisée par l’imputation d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger (QFIE).

La loi du 7 décembre 1988 a cependant modifié la législation applicable en cette matière et a limité l’application de la quotité forfaitaire d’impôt étranger aux situations (rares) dans lesquelles les actions sont affectées à l’exercice de l’activité professionnelle (article 285, al. 1 du C.I.R. 92). Les investisseurs privés n’ont dès lors plus la possibilité d’imputer une partie de l’impôt français sur l’impôt belge.

Cette modification de la législation belge semble toutefois s’opposer à la Convention préventive de la double imposition conclue entre la Belgique et la France qui permet aux résidents de la Belgique ayant perçu des dividendes de source française qui ont subi une retenue à la source en France de diminuer l’impôt dû en Belgique à concurrence d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger dans les conditions fixées par la législation belge sans que cette quotité puisse être inférieure à 15% du montant net du dividende (article 19, A, 1, alinéa 2).

Jusqu’il y a peu (et pendant presque 30 ans !), les Cours et Tribunaux belges ont toujours refusé le bénéfice de l’imputation d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger. Seul le Conseil d’Etat français avait, dans un arrêt du 7 mai 2014, obligé l’Etat français à rembourser la retenue à la source française pour le motif que la législation française s’opposait au principe de la libre circulation des capitaux.

La Cour de cassation prend position en faveur des investisseurs privés belges

Dans un arrêt du 16 juin 2017, la Cour de cassation a toutefois reconnu que la double imposition des dividendes de source française est contraire à la CPDI conclue entre la France et la Belgique et a, en conséquence, donné raison aux contribuables.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a écarté l’application de l’article 285, al. 1 du C.I.R. 92 en reconnaissant la primauté du droit international sur le droit national. En d’autres termes, la Cour de cassation a reconnu la possibilité pour les investisseurs privés belges d’appliquer la quotité forfaitaire d’impôt étranger minimale (15%) prévue par la Convention prévention de la double imposition et ce, nonobstant la disposition du droit belge (article 285, al.1 C.I.R. 92) qui subordonne son application à l’affectation des actions à l’activité professionnelle du contribuable.

L’imputation d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger de 15% doit, en principe, permettre de limiter la retenue à la source belge à 15% (30% - 15%) du montant du dividende ‘net-frontière’. Le dividende net ‘final’ s’élève, dans ce scénario, à EUR 72,25 (et non plus à ERU 59,50).

La Cour de cassation a, dès lors, cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Gand du 18 novembre 2014 et a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel d’Anvers (qui n’a pas encore statué à ce jour).

La Cour d’appel de Bruxelles a statué récemment dans le même sens

La Cour d’appel de Bruxelles a rendu, en date du 20 septembre 2018, un arrêt par lequel elle donne raison aux contribuables. 

En effet, alors que l’administration fiscale et le Tribunal de première instance de Bruxelles s’étaient opposés à l’application d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger en invoquant la disposition susvisée du Code des impôts sur les revenus, la Cour d’appel de Bruxelles a réformé le jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles et a autorisé l’imputation d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger.

A l’instar de la juridiction suprême, la Cour d’appel de Bruxelles a reconnu la primauté de la Convention préventive de la double imposition sur le droit interne belge.

L’administration fiscale belge tarde toutefois à s’incliner

Il est remarquable de constater que l’administration fiscale belge refuse toujours de s’incliner malgré la position adoptée en juin 2017 par notre juridiction suprême. 

Devant la jurisprudence favorable de la Cour de cassation et de la Cour d’appel de Bruxelles (et bientôt de la Cour d’appel d’Anvers qui, dans l’affaire susvisée, est tenue de suivre la position de la Cour de cassation sur le point de droit jugé), nous ne pourrions que conseiller aux investisseurs belges d’introduire des réclamations (ou des demandes de dégrèvement d’office) afin de récupérer l’excédent d’impôt belge perçu (à savoir 15% du dividende net frontière).

La France vient de réduire le montant de la retenue à la source sur les dividendes 

La double imposition (temporaire, espérons-le) des dividendes de source française est quelque peu adoucie par une récente réduction à 12,8% de la retenue à la source française sur les dividendes distribués à des personnes physiques ayant leur domicile fiscal hors de France et dont les comptes sont gérés hors de France par une institution financière autre que la banque française dépositaire.

Une attestation de résidence (formulaire 5000) devra être transmise au débiteur des dividendes afin de bénéficier de cette réduction de la retenue  à la source.

Tableau récapitulatif

  Sans QFIE Avec QFIE  Avec QFIE
Retenue à la source française 
    
Dividende brut
Impôt français

15% (*)

100,00
-15,00

15% (*)

100,00
-15,00

12,80%

100,00
-12,80

Dividende net frontière
    
Précompte mobilier belge (30%)
QFIE 

85,00

-25,50
0

85,00

-25,50
+12,75 

87,20

-26,16
+13,08

Dividende net 59,50 72,25 74,12

 

(*) après application de la limitation à 15% de la retenue à la source prévue par la CPDI conclue avec la France 

Et maintenant ?

Afin de limiter la multiplication des recours introduits devant les Cours et Tribunaux, il est hautement souhaitable que l’administration fiscale s’incline devant la jurisprudence de notre plus haute juridiction et reconnaisse, dans une circulaire administrative, l’application de la quotité forfaitaire d’impôt étranger et ce, dans l’attente d’une prochaine modification de l’article 285, al.1 du C.I.R. 92.

Nous notons également que la position susvisée de la Cour de cassation pourrait également trouver à s’appliquer à des revenus mobiliers provenant d’autres pays avec lesquels la Belgique a signé une convention préventive de la double imposition qui reprendrait également un régime similaire de crédit d’impôt (par exemple, voir l’article 23, 2° de la CPDI avec l’Italie qui prévoit l’application d’une QFIE dont le taux ne peut être inférieur à celui de l’impôt perçu en Italie).

Si vous désirez plus d'informations à ce sujet, veuillez contacter votre gestionnaire de dossier ou Michel Beyaert, Tax Partner.